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EXTRAITS                                                                                                                                                                                                

Chapitre 2 / le bûcher

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"Pape Clément... chevalier Guillaume de Nogaret... roi Philippe...
avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment !
... Maudits ! Maudits ! Vous serez tous maudits jusqu'à la treizième génération …."

Ces paroles, menaçantes et lancées d'une voix forte et puissante, impressionnèrent la foule. Sur l'île au Juifs, en ce 18 mars 1314, se déroulait le supplice de deux grandes figures de l'Ordre des Templiers, Jacques de Molay et son fidèle ami Geoffroy de Charnay. Sur ordre du Roi de France Philippe le Bel, la plupart des Templiers avaient été arrêtés sept ans plus tôt. Certains furent emprisonnés, d'autres condamnés au bûcher. D'autres encore réussirent à fuir à l'étranger.
Tandis que les flammes, attisées par un vent qui soufflait de Notre-Dame toute proche, dansaient et dévoraient les corps des deux suppliciés qui s'étaient maintenant tus, la foule silencieuse, se signait et craignait la colère divine. Déjà, on critiquait le roi, déjà on vénérait les condamnés. Rapidement, des gardes, sur un ordre du capitaine de Molançay, dispersèrent les badauds, sans ménagement, à coup de bâtons ou encore du plat de l'épée. Gare à ceux qui protestaient, ils pouvaient fort bien être transpercés par une longue pique et projetés dans les eaux froides de la Seine. Parmi les observateurs, se tenait un homme de haute taille, le visage anguleux recouvert d'une capuche brune. Il comprit qu'il était temps de partir sans demander son reste. Encore un dernier regard vers les deux condamnés dont on ne distinguait plus guère les formes, un mouvement de recul pour éviter le bâton d'un garde rougeaud et il tourna les talons. Sa mission… il lui fallait remplir sa mission. D'abord, récupérer l'enfant, trouver des chevaux et prendre la route afin de mettre le rouleau à l'abri. Il avait promis, il s'était engagé. Sur ses épaules reposait peut-être le devenir de l'Ordre tout entier. Il lui fallait faire vite car les soldats du roi continuaient à rechercher les Templiers qui avaient échappé aux premières arrestations. Paris était quadrillé d'escouades qui fouillaient les maisons, questionnaient, arrêtaient les passants. La campagne n'était guère plus sûre et les frontières du royaume étaient surveillées de façon étroite. Mais Bertrand était déterminé et il ferait tout son possible pour honorer sa promesse.

 

Chapitre 6 / l'arrivée à Strasbourg

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Une intense activité régnait sur le débarcadère. Les pilotis de chêne, plongés dans l'eau de la rivière, soutenaient un ponton remis en état fréquemment. Le passage y était tel que les planches ne tenaient guère longtemps et nécessitaient un contrôle régulier. Les barcasses à fond plat accostaient le long de cet appontement. Des marins, munis de grandes perches griffues, attrapaient la coque des embarcations pour les tirer à eux. Une fois celles-ci amarrées solidement, on pouvait procéder au déchargement sous l'œil attentif des soldats, des contrôleurs du Bourgmestre et du négociant concerné. Il fallait vérifier la quantité, la qualité et chacun y allait de son rapport. Le soldat afin de s'assurer qu'aucun objet suspect ne rentrait dans la Cité, le contrôleur afin de calculer le montant de la taxe qui serait due et le négociant afin de vérifier si la marchandise demandée était bien au rendez-vous. Aujourd'hui, le commerce était plutôt porté sur les foudres de vin blanc qui détenait une bonne renommée dans la région ainsi que sur des ballots de tissu qui provenait d'Orient, disait-on. Tout ceci accompagné d'un joyeux brouhaha et des mouvements d'une foule bigarrée.
C'est pourquoi Hélène et Guillaume accédèrent aisément à l'entrée de la ville, sans se faire remarquer. Il fallait profiter de cette agitation pour passer inaperçus. Ils se présentèrent devant la Zolltor, accès le plus proche qui permettait l'accès à la Cité. Trois soldats, bien armés, montaient la garde et arrêtaient systématiquement tous ceux qui se présentaient. Les deux jeunes gens n'échappèrent pas à cette règle.
- Hola ! Damoiseau et damoiselle! Un instant ! hurla l'un des gardes, un rouquin bedonnant, le casque de travers sur le crâne et l'œil inquisiteur. Où allez-vous ainsi ?
- En ville, messire soldat.
- En ville ? Et que voulez-vous donc y faire dans cette ville ?
- Nous rendons visite à notre vieil oncle, maître Horrenberg, il loge près de St Martin, de l'autre côté de la grande place.
- Qui est ce Horrenberg ? Jamais entendu parler ? Tu le connais Hans ? demanda le garde en se tournant vers l'un de ses compagnons qui semblait somnoler.
- Jamais entendu parler. Qu'est-ce qu'il fait ce Horrenberg ?
- Il est copiste, messire soldat. Il travaille pour l'évêché. Je m'étonne que vous ne le connaissiez pas.
Le soldat s'était approché, menaçant. Il n'appréciait sans doute pas que l'on lui tienne tête ou le prenne en défaut.
- D'où venez-vous ainsi et que transportez-vous ? reprit-il, irrité.
- Nous venons de Tabernis, répondit Hélène, qui jusque là était restée discrète. Nous avons fait ce long chemin de douze* lieues. Nous sommes fatigués et notre monture également. Laissez-nous passer. Notre oncle va s'inquiéter si…
- Tout doux, tout doux. On ne rentre pas ainsi dans notre grande cité de Strasburg. La construction de la Cathédrale attire bon nombre de malandrins qui souhaitent le ralentissement des travaux ou l'arrêt de la construction. Qui me dit que vous ne préparez pas un sabotage ?
- Mais, messire…
- Cela suffit ! Montrez-moi vos bagages.
- C'est que nous n'en n'avons point, messire soldat. Nous ne transportons que ces quelques victuailles dans ce sac que voici.
Le soldat saisit le sac que Guillaume lui présentait, l'ouvrit, huma la bonne odeur de jambon et lança le tout à son compagnon.
- Tiens Hans ! Pour ce soir ! Nous allons nous régaler. Et ceci ? dit-il en écartant les pans de la cape du jeune garçon à l'aide de la pointe de sa lance.
- Vous le voyez bien, messire soldat, ce n'est qu'un arc. Les routes sont parfois dangereuses.
- Et ceci encore ? continua l'homme en désignant le tube de bois passé en bandoulière.
- Ce sont des parchemins. Ceux-là mêmes que mon oncle doit copier. Il ne…
- Donne-moi cet étui ! Je veux voir ce qu'il contient !
Les paroles de maître Bertrand résonnaient dans l'esprit du garçon. "En aucun cas et sous aucun prétexte…"
À cet instant précis, des cris tous proches se firent
entendre. On eut dire une dispute assez violente entre deux ou plusieurs personnes. De fait, trois hommes, un peu en arrière, à l'entrée du pont, en étaient aux mains, se disputant un ballot de tissu. Deux semblaient ligués contre le troisième, qui acculé contre un mur, avait sorti un long poignard, prêt à en faire usage si nécessaire. Deux des gardes, dont le rouquin, s'élancèrent, la lance menaçante, afin de calmer cette rixe. Guillaume ne se fit pas prier. Il lança File-au-Vent et les deux enfants disparurent dans la Grand'Rue sans demander leur reste. La rue n'était guère large et ils décidèrent de mettre pied à terre. Il valait mieux guider le cheval à la main. De toute manière, les soldats étaient occupés avec la bagarre du pont et ils ne pouvaient quitter aussi facilement leur poste sous le simple prétexte de suivre deux enfants. Ils disposaient donc d'un certain répit dont ils décidèrent de profiter.
- Nous l'avons échappé belle, dit Hélène. Encore un peu et nous perdions le tube.