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Une intense activité régnait sur le débarcadère.
Les pilotis de chêne, plongés dans l'eau de la rivière,
soutenaient un ponton remis en état fréquemment. Le passage
y était tel que les planches ne tenaient guère longtemps
et nécessitaient un contrôle régulier. Les barcasses
à fond plat accostaient le long de cet appontement. Des marins,
munis de grandes perches griffues, attrapaient la coque des embarcations
pour les tirer à eux. Une fois celles-ci amarrées solidement,
on pouvait procéder au déchargement sous l'il attentif
des soldats, des contrôleurs du Bourgmestre et du négociant
concerné. Il fallait vérifier la quantité, la qualité
et chacun y allait de son rapport. Le soldat afin de s'assurer qu'aucun
objet suspect ne rentrait dans la Cité, le contrôleur afin
de calculer le montant de la taxe qui serait due et le négociant
afin de vérifier si la marchandise demandée était
bien au rendez-vous. Aujourd'hui, le commerce était plutôt
porté sur les foudres de vin blanc qui détenait une bonne
renommée dans la région ainsi que sur des ballots de tissu
qui provenait d'Orient, disait-on. Tout ceci accompagné d'un joyeux
brouhaha et des mouvements d'une foule bigarrée.
C'est pourquoi Hélène et Guillaume accédèrent
aisément à l'entrée de la ville, sans se faire remarquer.
Il fallait profiter de cette agitation pour passer inaperçus. Ils
se présentèrent devant la Zolltor, accès le plus
proche qui permettait l'accès à la Cité. Trois soldats,
bien armés, montaient la garde et arrêtaient systématiquement
tous ceux qui se présentaient. Les deux jeunes gens n'échappèrent
pas à cette règle.
- Hola ! Damoiseau et damoiselle! Un instant ! hurla l'un des gardes,
un rouquin bedonnant, le casque de travers sur le crâne et l'il
inquisiteur. Où allez-vous ainsi ?
- En ville, messire soldat.
- En ville ? Et que voulez-vous donc y faire dans cette ville ?
- Nous rendons visite à notre vieil oncle, maître Horrenberg,
il loge près de St Martin, de l'autre côté de la grande
place.
- Qui est ce Horrenberg ? Jamais entendu parler ? Tu le connais Hans ?
demanda le garde en se tournant vers l'un de ses compagnons qui semblait
somnoler.
- Jamais entendu parler. Qu'est-ce qu'il fait ce Horrenberg ?
- Il est copiste, messire soldat. Il travaille pour l'évêché.
Je m'étonne que vous ne le connaissiez pas.
Le soldat s'était approché, menaçant. Il n'appréciait
sans doute pas que l'on lui tienne tête ou le prenne en défaut.
- D'où venez-vous ainsi et que transportez-vous ? reprit-il, irrité.
- Nous venons de Tabernis, répondit Hélène, qui jusque
là était restée discrète. Nous avons fait
ce long chemin de douze* lieues. Nous sommes fatigués et notre
monture également. Laissez-nous passer. Notre oncle va s'inquiéter
si
- Tout doux, tout doux. On ne rentre pas ainsi dans notre grande cité
de Strasburg. La construction de la Cathédrale attire bon nombre
de malandrins qui souhaitent le ralentissement des travaux ou l'arrêt
de la construction. Qui me dit que vous ne préparez pas un sabotage
?
- Mais, messire
- Cela suffit ! Montrez-moi vos bagages.
- C'est que nous n'en n'avons point, messire soldat. Nous ne transportons
que ces quelques victuailles dans ce sac que voici.
Le soldat saisit le sac que Guillaume lui présentait, l'ouvrit,
huma la bonne odeur de jambon et lança le tout à son compagnon.
- Tiens Hans ! Pour ce soir ! Nous allons nous régaler. Et ceci
? dit-il en écartant les pans de la cape du jeune garçon
à l'aide de la pointe de sa lance.
- Vous le voyez bien, messire soldat, ce n'est qu'un arc. Les routes sont
parfois dangereuses.
- Et ceci encore ? continua l'homme en désignant le tube de bois
passé en bandoulière.
- Ce sont des parchemins. Ceux-là mêmes que mon oncle doit
copier. Il ne
- Donne-moi cet étui ! Je veux voir ce qu'il contient !
Les paroles de maître Bertrand résonnaient dans l'esprit
du garçon. "En aucun cas et sous aucun prétexte
"
À cet instant précis, des cris tous proches se firent
entendre. On eut dire une dispute assez violente entre deux ou plusieurs
personnes. De fait, trois hommes, un peu en arrière, à l'entrée
du pont, en étaient aux mains, se disputant un ballot de tissu.
Deux semblaient ligués contre le troisième, qui acculé
contre un mur, avait sorti un long poignard, prêt à en faire
usage si nécessaire. Deux des gardes, dont le rouquin, s'élancèrent,
la lance menaçante, afin de calmer cette rixe. Guillaume ne se
fit pas prier. Il lança File-au-Vent et les deux enfants disparurent
dans la Grand'Rue sans demander leur reste. La rue n'était guère
large et ils décidèrent de mettre pied à terre. Il
valait mieux guider le cheval à la main. De toute manière,
les soldats étaient occupés avec la bagarre du pont et ils
ne pouvaient quitter aussi facilement leur poste sous le simple prétexte
de suivre deux enfants. Ils disposaient donc d'un certain répit
dont ils décidèrent de profiter.
- Nous l'avons échappé belle, dit Hélène.
Encore un peu et nous perdions le tube.
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